BIGGER THAN US, UN FILM DE FLORE VASSEUR

ELZEVIR FILMS, BIG MOTHER PRODUCTIONS
ET ALL YOU NEED IS PROD PRÉSENTENT

PRODUIT PAR
DENIS CAROT, FLORE VASSEUR ET MARION COTILLARD

FESTIVAL DE CANNES, SÉLECTION OFFICIELLE 2021

96 MIN – FRANCE – DCP – 5.1 – 2020

SORTIE LE 22 SEPTEMBRE 2021

DISTRIBUTION Jour2Fête
Sarah Chazelle & Etienne Ollagnier
9, rue Ambroise Thomas – 75009 Paris
Tél. : 01 40 22 92 15 – contact@jour2fete.com

SYNOPSIS

Depuis 6 ans, Melati, 18 ans combat la pollution plastique qui ravage son pays l’Indonésie. Comme elle, une génération se lève pour réparer le monde. Partout, adolescents et jeunes adultes luttent pour les droits humains, le climat, la liberté d’expression, la justice sociale, l’accès à l’éducation ou l’alimentation. La dignité.

Seuls contre tous, parfois au péril de leur vie et sécurité, ils protègent, dénoncent, soignent les autres. La Terre. Et ils changent tout.

Melati part à leur rencontre à travers le globe. Elle veut comprendre comment tenir et poursuivre son action. Des favelas de Rio aux villages reculés du Malawi, des embarcations de fortune au large de l’île de Lesbos aux cérémonies amérindiennes dans les montagnes du Colorado, Rene, Mary, Xiu, Memory, Mohamad et Winnie nous révèlent un monde magnifique, celui du courage et de la joie, de l’engagement pour plus grand que soi. Alors que tout semble ou s’est effondré, cette jeunesse nous montre comment vivre.

Et ce qu’être au monde, aujourd’hui, signifie.

LE FILM

Aller à la rencontre de jeunes gens qui se lèvent pour « réparer le monde » : des garçons et filles d’à peine vingt ans – hier encore des enfants – mais qui, comme saisis par un sentiment d’urgence et d’injustice, se lancent dans des combats plus grands qu’eux ! Tel est le propos du premier long métrage de cinéma documentaire de l’écrivain Flore Vasseur.

BIGGER THAN US est un film sur la jeunesse. Sur sa lucidité, son refus de voir notre monde sombrer. C’est aussi un film sur la fragilité et la beauté de la vie sur cette planète, notre bien commun, où la joie et l’art de faire ensemble, de lutter ensemble, peuvent encore l’emporter.

C’est un film sur la liberté, malgré tout, et ce choix d’agir dont chacune, chacun, peut encore s’emparer. BIGGER THAN US, c’est aussi la photographie sensible de cette jeunesse en mouvement, et de ses combats autour de thématiques telles que la justice sociale, l’urgence climatique, les droits des femmes ou encore l’accès à l’alimentation et l’éducation.

C’est un voyage aux allures d’odyssée, en sept épopées filmées – Liban, Malawi, Grèce, EtatsUnis, Brésil, Ouganda, Indonésie. Dans chacun de ces pays, chacune de ces réalités sociales et culturelles, Melati Wijsen, – activiste de dix-huit ans à l’origine de l’interdiction des sacs plastiques sur son île de Bali, dont Flore Vasseur avait raconté l’histoire dans un précédent documentaire pour ARTE, – part à la rencontre de jeunes combattantes et combattants du quotidien dont l’engagement ne peut que nous galvaniser.

S’écrivent alors de très touchants dialogues de pair à pair, sur les engagements de leur génération, son courage, son envie de vivre.


Ces « personnages » qui racontent leur combat et quotidien sont :

MELATI WIJSEN
18 ans (20 ans aujourd’hui) | Indonésie
Lutte, depuis l’âge de 12 ans, avec sa sœur Isabel, alors 10 ans, contre la pollution plastique avec leur initiative Bye Bye Plastic Bags. Ensemble, elles ont mobilisé des milliers d’enfants et de touristes et obtenu par décret l’interdiction de la vente et de la distribution de sacs, d’emballages et de pailles en plastique sur leur île. Melati croit au pouvoir de sa génération et développe aujourd’hui Youthtopia

MEMORY BANDA
22 ans (24 ans aujourd’hui) | Malawi
A osé défier la tradition du viol institutionnalisé des jeunes filles dans des camps d’initiation dédiés. A fait cesser cette pratique dans tout le pays, puis a fait modifier la constitution du Malawi pour relever l’âge légal de 15 à 18 ans afin de protéger les filles du mariage forcé. Memory se consacre aujourd’hui à l’émancipation des filles par la sécurisation de leurs droits et leur maintien à l’école. Au Malawi, 42% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans. Pour le monde, c’est 1 fille sur 5 (Unicef)

MARY FINN
22 ans (24 ans aujourd’hui) | Grèce
S’est engagée, dès ses 18 ans, dans des opérations de sauvetage en mer de migrants au large de la Grèce, la Turquie ou Libye, ou à leur accueil dans les camps de Grèce. Elle témoigne de la situation des réfugiés en Europe et de ses conséquences sur la politique européenne. Aujourd’hui, Mary se forme aussi au métier de sage-femme afin que son travail d’aide humanitaire d’urgence soit encore plus pertinent et bénéfique. On compte 80 millions de réfugiés aujourd’hui, dont 16% seulement dans les pays occidentaux. Ils seront 200 millions en 2050 (source HCR)

MOHAMAD AL JOUNDE
18 ans (20 ans aujourd’hui) | Liban
A construit, à l’âge de 12 ans une école dans un camp de El Marj, à la frontière Libano-syrienne. Parce qu’ayant fui la guerre en Syrie avec sa famille, il avait tout perdu. A commencer par l’école. Aujourd’hui, 200 enfants réfugiés syriens se rendent chaque jour dans l’établissement créé par Mohamad. L’école n’est pas seulement un lieu d’apprentissage. Mais un espace de sécurité. Mohamad croit à l’incroyable force des réfugiés et notamment des enfants et au pouvoir de transformation de leur récit. Au Liban, 1 personne sur 4 est réfugiée. 54% de ces réfugiés sont des enfants (HCR)

RENE SILVA
25 ans (27 ans aujourd’hui) | Brésil
A créé, à l’âge de 11 ans, le premier média permettant de partager des informations et des histoires sur sa favela écrite par et pour la communauté, « Voz das Comunidades ».
Lui et son équipe de 16 journalistes racontent de l’intérieur leur quotidien de pauvreté, d’inégalités, de racisme et aussi et surtout de résilience. Face à un Etat de plus en plus dictatorial et aux inégalités sociales explosives, René croit au journalisme de proximité et de résistance ainsi qu’au pouvoir des communautés. 397 activistes et journalistes ont été tués dans le monde en 2020, dont 264 en Amérique Latine (ISF et IFG)

XIUHTEZCATL MARTINEZ
19 ans (21 ans aujourd’hui) | Etats-Unis
A attaqué l’Etat du Colorado puis l’Etat américain en justice pour non protection des générations futures. A imposé un moratorium sur l’exploitation du gaz de schiste au Colorado. A fait interdire le recours aux pesticides dans les parcs pour enfants. Aujourd’hui, il utilise son art, la musique et le rap pour porter son combat, la justice environnementale, et défendre son héritage : la sagesse des peuples premiers.

WINNIE TUSHABE
25 ans (27 ans aujourd’hui) | Ouganda
A lancé YICE, une initiative visant à transmettre aux plus démunis, les réfugiés en Ouganda, les bases de la permaculture afin qu’ils puissent survivre sur des sols détruits par les pesticides. La sécurité alimentaire et le développement du troc et du petit commerce leur permettent de sécuriser l’accès de leurs enfants à l’école.
Winnie s’occupe de près de 900 familles et a créé plus de 50 emplois pour les jeunes et les femmes. Pour Winnie, les femmes et notamment les agricultrices sauveront l’Afrique. 84% des sols du continent sont détruits ou très endommagés par les pesticides (FAO).

ENTRETIEN AVEC FLORENCE VASSEUR, RÉALISATRICE

Dans quel cadre avez-vous fait la connaissance de Marion Cotillard, co-productrice du film ?

On sait tous que Marion est très engagée, on voit moins ce que cela implique et ce que cela peut déclencher. Nous nous sommes rencontrées lors d’un week-end qui réunissait des entrepreneurs sociaux, des militants, des réalisateurs autour de l’activiste indien Satish Kumar. Marion était venue avec son bébé, dont elle s’occupait entre les sessions de travail.

Je me suis surprise à la regarder faire, plusieurs fois, émue par les gestes et l’amour qu’elle lui portait. Je me suis reconnue dans sa façon de lui parler, de la rhabiller, de l’endormir. Dans sa façon d’être maman. Et BIGGER THAN US, je pense, est aussi un projet de maman. Je suis allée la voir avec la crainte de la déranger, j’ai failli ne pas le faire.

Marion est sur-sollicitée par des personnes qui pensent tenir le Graal. Mais quelque chose a sonné juste et elle a voulu en savoir plus sur mon projet de film. On s’est revues le lendemain dans Paris, et puis on ne s’est plus quittées. De film de mamans, c’est devenu un film de soeurs. Marion a été de toutes les étapes, de tous les coups durs.


Concrètement, qu’a t-elle apporté ?

Le plus important : la foi. Combien de fois m’a-t-elle remise en selle, alors que j’étais fatiguée ou découragée, prête à une concession, une facilité. Marion a une présence hors norme.

Quand elle est avec toi, tu peux soulever des montagnes.

Comme productrice, elle a aussi amené une personne clé du projet, Christophe Offenstein, le directeur de la photographie. Hyper expérimenté, hyper calme et un coeur en or, qui s’est mis totalement au service du projet, de son propos. Il m’a aussi mis une caméra dans les mains, m’a dit de faire mes images pour que le film soit au plus près de ce que j’avais en tête. Et de fait, on s’en est beaucoup servi. C’est comme cela que je suis vraiment rentrée dans le film…

Marion est aussi de toutes les réunions. Bien sûr, elle nous a aidé à ouvrir les bonnes portes. Et elle n’a rien laissé passer au montage. Aucune facilité une plateforme d’éducation et de partage d’outils pour des jeunes souhaitant s’engager.

Vous parlez d’un « film de sœurs », dont la cadette est donc Melati Wijsen.
A quand remonte votre rencontre ?

En 2016. Tout cela est lié à un moment très spécial qui a eu lieu dans ma vie de maman, et c’est ce moment qui a tout déclenché. À l’époque, mon fils a sept ans, et un midi, pendant le repas, il me regarde et dit : « Ça veut dire quoi, la planète va mourir ? » Ma fille, qui a trois ans de plus, me regarde avec ses grands yeux : « Qu’est-ce qu’il se passe, là ?… »

Moi, je me dis qu’il y a deux options : soit je réponds « Mais non mon chaton, ça n’arrivera jamais, mange ton steak haché », soit je sors les rames. Alors je me lance : « Ecoute, ce que ça veut dire, c’est qu’on est dans un moment où, peut-être, une extinction de masse s’est déclenchée, mais il y en a déjà eu cinq ou six, et la vie a toujours fini par repartir… »

Je me vois lui expliquer ça de façon tellement maladroite ! Je vois deux paires d’yeux qui me regardent, j’ai leur attention comme jamais. Mon fils m’interrompt : « OK, mais moi, je fais comment pour pas mourir ? » Je réfléchis à toute vitesse et il va plus vite que moi : « Bon, si j’ai bien compris, maman, comme tu as dit que c’est à cause de la pollution et du reste, je vais m’enfermer dans la maison. Comme ça, je ne vais pas mourir ». Je lui dis : « Tu vois, tu ne peux pas rester enfermé dans une maison parce qu’il y a les meubles sur lesquels il y a… »

Je me gamelle totalement. Il réfléchit, et heureusement il réfléchit mieux que moi : « Bon, je vais aller en haut de la montagne, là où la pollution ne monte pas, comme ça je pourrai vivre ». « Oui, mais bon qu’est-ce que tu vas faire en haut de ta montagne ? C’est un peu triste, non ? » Il me répond : « Oui, tu as raison. Bon alors, je pourrais être président de la République, et j’arrête toutes les usines ! » Comme il déteste l’école, j’en rajoute une couche : « Oui mais pour être président, il faut travailler l’histoire, le français, savoir très bien écrire… »

« Alors sinon je pourrai être cosmonaute, comme ça, toi, papa et puis ma sœur, on pourra partir sur une autre planète ! » Je dis : « Ouais, t’as raison, mais là, là il faut bosser les maths, hein ! » Un peu rassuré, il me dit alors : « Et toi, tu fais quoi ? Tu fais quoi pour que la planète ne meurt pas, maman ? » Je lui réponds que j’écris des livres, des films sur la corruption, le dessous des cartes tout ça, mais rien à faire : « non, mais maman, sérieusement, tu fais quoi ? » « Ben tu vois, on prend le train, on n’a pas de voiture, on mange bio… » Troisième fois : « Maman, tu fais quoi ? » … « Ben écoute, probablement pas assez… »

Comment passe-t-on d’une conversation, à table, entre une mère et son fils, à un projet de cinéma documentaire aussi ambitieux ?

Mon fils savait que je n’avais pas d’idée précise pour mon prochain film, alors il ne m’a plus lâché avec ça : « Mais maman, tu n’as jamais fait de film sur la pollution ! C’est ça, ce que tu devrais faire non ? »

Et puis l’après-midi même, jolie synchronicité, je regarde enfin le TED Talk de Melati et Isabel Wijsen envoyé par Bruno Giussani, l’un de mes meilleurs amis qui sait que je cherche un sujet. Elles y expliquent leur combat contre le plastique qui pollue et condamne leur île, Bali. Je regarde leur conférence mais passe totalement à côté, presque agacée contre mon ami…

Mon fils rentre de l’école et me lance : « Alors maman, tu as trouvé une solution pour ton film ? » Et là, ça percute. Je retourne voir la vidéo de Melati et Isabel, si jeunes, si vaillantes, et là, je fonds en larmes, car tout est là, sous mes yeux : mon sujet, son sujet. J’appelle Arte, et 3 semaines après, on était partis en Indonésie… Cette thématique et ce choix de travailler avec Melati, je les dois donc à mon fils, qui m’a mise sur le chemin…

Puis à Melati et à sa soeur, que je trouve ahurissantes. A ce moment-là, je croise le génie de l’enfance. Nous, adultes, passons le plus souvent à côté. J’adore cette phrase, qui m’a beaucoup guidée, de ce pédiatre polonais Janus Korczak : « Pour se placer à hauteur d’enfant, il faut se hisser sur la pointe des pieds ».

Dans quel état d’esprit avez-vous abordé le premier voyage effectué pour le film ?

Le tout premier tournage, c’était au Liban, en avril 2019. On est partis un peu la fleur au fusil, sans vraiment savoir ce qu’on allait faire. C’est toujours comme ça dans un documentaire : il y a un tournage qui sert de pilote, ou plus exactement de crash test. Et c’était parfait comme crash test, parce que ce pays lui-même est en crash, totalement par terre – plus encore maintenant que quand nous y avons tourné, mais c’était sous-jacent.

Et puis c’est inhérent à cette population et aux gens avec lesquels on a travaillé, qui sont à la fois d’une gaieté et d’une générosité incroyables, mais aussi d’une fébrilité palpable, liée au fait de vivre sur une poudrière… On est arrivés un peu comme des amateurs. Avec l’équipe technique, on ne se connaissait absolument pas. On a passé beaucoup de temps à se flairer, les uns et les autres. Il y a des questions de légitimité des uns et des autres, y compris la mienne ; et moi, je ne savais vraiment pas comment j’allais prendre le tournage.

J’avais des intuitions, et puis surtout je voulais m’appuyer sur Melati autant que possible, mais quelle envie profonde avait-elle de ce film ? Quelle implication avait-elle envie d’y mettre ? Quelle passion ou quel appétit avait-elle pour « l’autre » ?

Melati Wijsen est le personnage central du film : à l’image, c’est elle qui va à la rencontre des acteurs du changement, en Ouganda, au Brésil, au Malawi… Y avait-il le risque d’en faire une héroïne de cinéma ?

Melati, je l’adore, je la trouve remarquable, je suis très impressionnée par son engagement, sa force. Mais il y a quelque chose qui ne m’allait pas pour ce film, et pour l’histoire que je voulais saisir et laisser vivre : c’est le côté ultra-performant qu’elle peut avoir. En Asie, elle est vraiment la Greta Thunberg locale : elle est très habituée aux tournages, très habituée
à délivrer le même message, avec pas mal d’automatisme, beaucoup d’aisance face à la caméra.

C’est très impressionnant mais tout à fait contre-productif. Nous, on voulait chercher quelque chose qui est sous la surface – et Melati a une surface parfaite. Nous voulions quelque chose de bien plus fort. De non négociable. Mais voilà, à force d’entraînement et de reportages pour CNN, Melati était en train de perdre son âme d’enfant. Or c’est précisément ce que nous cherchions, c’est cette part de nous qui est à réveiller aujourd’hui, universelle et a-générationnelle.

Pour cela il fallait la faire sortir de sa zone de confort. Ça n’était pas simple car ça me mettait, moi, dans un questionnement du type : « Mais qui suis-je pour lui dire ce qu’il faut qu’elle fasse ou pas ? Qui suis-je pour lui dire qu’elle a la bonne ou la mauvaise attitude ? » Cette espèce de toute-puissance du réalisateur ou de la réalisatrice, c’est vraiment quelque chose dont je me méfie.

On a la caméra, on a les questions, on surprend les personnes qu’on interviewe : il y a un côté complètement totalitaire. Et en même temps, c’est un pur-sang, Melati, c’est un étalon : si vous lui mettez une muselière, elle s’en va. Or j’avais besoin d’elle : et je n’avais pas envie de me priver de cette interaction de « jeune à jeune » qui est la mécanique du film. Je ne voulais pas d’un film où l’adulte se penche dans un geste quasi condescendant.
Je ne voulais pas en faire des personnages de théâtre ou de cirque. Je voulais les écouter.

Les voir s’entendre et s’organiser. Se surprendre et s’ouvrir. Et leur donner toute la place à un moment où seuls les mêmes experts, issus du même moule et rabâchant les mêmes idées depuis des décennies, ont droit de cité. Les solutions, le génie sont partout. Pour peu qu’on y paie attention. Considération.

À l’arrivée, en visionnant le film, on la découvre très juste, très humaine, et on ressent une grande harmonie entre vous, l’une devant la caméra, l’autre derrière.

Ça, c’est la grâce du tournage, et notamment de ce premier tournage au Liban. Melati n’était jamais allée dans un pays en guerre, elle avait 18 ans, et la voilà projetée à des milliers de kilomètres de chez elle à Bali où tout le monde semble parfaitement apaisé et occupé à la beauté du monde et à la sienne. Or, Beyrouth, c’est une poudrière. J’étais très émue de la voir arriver à l’aéroport, avec son petit sac, ça c’était un engagement dingue. Melati est une grande aventurière en fait – elle a grandi sur un bateau, cela doit aider.

Mais quand même, ce pays nous explose à la figure. C’est le bazar, le chaos, il y a des policiers partout pour des contrôles. Melati hallucine, scotchée à la vitre du camion qui nous transporte. Mais de l’extérieur, elle assure, professionnelle, disponible, en mode « Je suis prête. Voyons ce qui se passe.

J’ai changé la loi dans mon pays, je connais tout sur tout sur le plastique, je suis activiste depuis 6 ans, je n’ai peur de rien ». Et puis on a rendez-vous avec Mohamad, et il y a un énorme incident tout de suite. Notre personnage, qui a trouvé asile en Suède, doit nous rejoindre pour démarrer le tournage, et en fait à l’aéroport en Suède, il se voit refuser l’accès à l’avion car il est interdit de territoire au Liban. Pour notre tournage, c’est une énorme tuile.

Nous apprenons à Melati que Mohamad ne vient pas. Qu’elle sera seule pour ce tournage dans ce pays qu’elle ne connait pas. Que Mohamad n’est pas libre de ses déplacements parce qu’il n’a pas le bon passeport. C’est un cœur d’ange cette jeune fille, et bien sûr elle explose en larmes, et bien sûr elle se prend dans la figure toute la violence et toute l’horreur, toute l’injustice, toutes les difficultés et l’absurde du statut de réfugié.

Finalement, Dorothée Martin, qui m’a secondée pour les tournages, réussit l’exploit de faire monter Mohamad dans un avion. Lui prend un risque fou pour venir nous raconter son histoire, qui est énorme : Mohamad est un jeune type qui a fui la guerre en Syrie, atterri à la frontière libano-syrienne, s’ennuie à mourir, et pour ne pas sombrer, construit, à l’âge de douze ans, une école pour les enfants des camps, comme lui. Aujourd’hui, 200 enfants s’y rendent chaque jour. Mohamad s’occupe de l’école à distance, de Suède, loin de sa maman, de sa sœur, parce que tout le monde a trouvé refuge dans des endroits différents sur la planète. Et il nous raconte ça sans aucun pathos, avec un aplomb et une fierté incroyables.

Et en même temps, dès qu’il arrête de parler, vous voyez la mort sur son visage. Melati a ressenti ça aussi… En fait, Mohamad a placé la barre tellement haut que Melati a tout de suite compris qu’elle gagnerait beaucoup à tomber l’armure et à se laisser surprendre. Que le film était une aventure bien sûr pour nous, mais aussi pour elle. Il fallait laisser l’ego, tout ce que l’on savait, ou pensait savoir, à la porte

La plupart de vos livres et de vos films ont eu pour sujet des personnages qui se battent contre plus fort qu’eux. C’est conscient, chez vous ?
C’est un désir profond d’aller à la rencontre de personnes courageuses, oui. Je les cherche, en fait. Les personnes qui doutent, dénoncent et surtout font, me rassurent et m’aident à vivre. C’est pour cela que mon travail consiste essentiellement à partager leurs combats et histoires.

J’espère intimement que les gens seront touchés à leur tour et que les choses changeront. Mais jusque là, je me suis toujours heurtée à une forme d’indifférence, de so what. En filmant Edward Snowden à Moscou, au-delà du cadeau de ses mots et du miracle de cette rencontre, j’avais l’impression d’aller au bout de ce que je pouvais faire, comme l’histoire ultime. Et cela n’a strictement rien changé. Les gens, les adultes auxquels ce documentaire pour Arte était destiné m’ont dit : « Bien sûr, c’est un géant, mais qu’est-ce que tu veux que je fasse moi, je ne suis pas Snowden, moi ? »

Alors j’ai repensé à mon émotion en découvrant Melati et sa soeur Isabel, toute cette lucidité et sagesse encapsulées dans le corps de deux toutes jeunes filles ; j’ai pensé aux questions de mon fils, qui me hantaient : qu’est-ce que je dois faire pour ne pas mourir moi ? J’ai compris que précisément, la part d’enfance était ce qu’il y avait de plus magique en nous. Cette part qu’ont tous les activistes et lanceurs d’alerte de tous âges, d’ailleurs.

Ce sens de la justice qui te meut, te fait sortir de tes gonds et descendre dans la rue. Alors, on n’est pas tous Edward Snowden, mais on a tous été des enfants.

Et puis, j’avais l’intuition qu’il y avait dans la génération qui arrive quelque chose en plus qui est lié à une forme d’urgence absolue. Dès ce premier tournage, je savais que ça serait ça. Il y avait le côté ligne de crête, le côté ligne de front. Avec sur cette ligne, la meilleure part de nous-même : celle qui ne renonce pas. C’est une question de rapport au monde et à nouveau à la justice, à cette part de nous qui n’abdique pas devant le confort et le regard des autres. Mohamad, quand on l’a filmé, n’avait « que » 18 ans.

Idem pour la plupart des personnages du film. En fait, je me suis retrouvée face à des très grandes personnes. Il y a quelque chose dans leur regard à tous qui est d’une grande gravité, mais aussi d’une profonde sagesse.

Un mois après le Liban, vous partiez au Malawi, puis dans la foulée aux États-Unis, en Grèce, au Brésil, en Ouganda… Nous ne pouvons pas rentrer dans le détail de tous ces tournages, mais pouvez-vous nous parler de moments particulièrement marquants ?

L’une de mes principales fiertés, c’est que les deux voyages au Malawi puis plus tard en Ouganda nous ont permis de mettre dans la lumière deux femmes africaines absolument incroyables. Et le film montre bien, je crois, que ce sont les femmes qui sauveront ce continent…

Memory, que nous avons rencontrée au Malawi, a 22 ans aujourd’hui. Elle nous a raconté une histoire, la sienne : avoir refusé, à l’âge de la puberté, de souscrire à un rite de passage commun à la plupart des filles du Malawi, un séjour forcé dans un camp d’initiation dans lequel les filles se rendent, poussées par la communauté, le village et les mamans. Comme c’est leurs premières règles, on les prépare pour… la suite : à savoir ce qu’il faut faire quand elles sont femme et mère.

En guise d’apprentissage, le dernier soir, un homme payé par la communauté viole toutes les filles du camp d’initiation. Dévastées, parfois enceintes dès l’âge de onze ans, les filles abandonnent l’école, transmettent sans questionner ce même rite.

On est dans l’horreur de ce que peut être une tradition, la façon dont elle condamne une personne mais aussi tout un peuple : privées d’éducation, les femmes – soit a minima, la moitié de la population, n’ont aucune chance de sortir de la pauvreté. La tradition crée ce que les économistes appellent une trappe à pauvreté. Un endroit dont par essence, réduite à la soumission la plus extrême, vous ne sortirez jamais. Or, Memory a refusé d’aller dans ce camp et a osé défier la tradition. Cela l’a mise sur un chemin extraordinaire et monstrueusement difficile.

C’est une histoire d’engagement presque parfaite : vous vous engagez car vous êtes touchée dans votre chair : comme Memory, vous résistez pour vous-même, vous sauvez votre peau, et ensuite, celles des autres, qui se liguent à vous. Ça fait boule de neige, vous êtes repérée par des adultes ou des associations, qui militent pour la même chose, mais parce que vous arrivez avec une énergie particulière ou une histoire supplémentaire à raconter, parce que vous incarnez ce combat, ça donne une force incroyable à d’autres.

Et vous vous retrouvez à changer la constitution – ce que Memory a fait, à faire bouger tout un pays. Ce qu’elle raconte, c’est une énorme histoire de sororité. Et une vérité : on n’agit jamais seule. Ici, c’est un combat de femmes, aidées par d’autres femmes, qui à un moment, convainquent des hommes qu’il faut changer les choses.

« Je parle à 10 filles, et sur ces 10 filles, il y en a 8 qui vont en parler à 10 filles de plus… », et c’est une espèce de chaîne de transformation qui passe à chaque fois par une personne. Pour Melati, la puissance de ce mouvement porté par des femmes a été un énorme choc

Comment avez-vous appréhendé les retards et attentes liés à la pandémie mondiale ?

Ironie du sort : cette pandémie est une manifestation des multiples dysfonctionnements qui sont au cœur du film. D’une certaine manière, nous nous sommes retrouvés face à un épisode de plus à vivre, un épisode intime qui finira par transformer le film. Cette question du temps, devenue si centrale et tangible, nous a révélé dans notre position d’équilibriste et nous a forcé à l’humilité.

Le déclenchement de tout, c’est Melati qui me dit au printemps 2016, alors qu’elle a tout juste 16 ans et que je la filme pour Arte : « On n’a plus le temps pour changer, pour convaincre, pour réparer, pour survivre, etc. » Alors un an plus tard, quand je lui présente le concept de BIGGER THAN US et lui dis que j’aimerais le tourner avec elle, elle me met une pression très forte pour que ça aille vite. Je comprends son empressement, mais il m’agace aussi. Mais je me cale sur son rythme. Je me dis : « Il doit y avoir quelque chose, cette urgence a du bon ».

Et effectivement, on démarre vite. On prépare, on développe, on trouve les financements, on lance l’enquête. C’est ce qui prend le plus de temps. Puis on tourne dans dix pays en sept mois, avec l’impression d’être embarqués dans une folle aventure. On se cale un calendrier d’enfer : pour chaque tournage, on ne passe que dix jours sur place, puis à peine rentrés, on raconte ce qu’on a vécu à un public qui vient assister à des restitutions gratuites.

On sent qu’il faut tout de suite réinjecter la matière, qu’on n’a pas le temps d’attendre la fin du tournage pour commencer à partager ce qu’on a vu. C’est chouette, et même vital. L’équipe comme moi apprenons beaucoup de ces restitutions publiques, qui, au montage, vont beaucoup nous aider.

Et là, donc, énorme coup de frein…
Oui, quelque chose de « plus grand que nous »… Plus grand que le film et que notre désir d’aller vite. Pour Melati, pour moi, pour les producteurs, il va falloir gérer cette attente. Au début, ça n’est pas du tout une catastrophe. On a tourné très vite, mais on a surtout beaucoup tourné. Moi, c’est mon premier film de cinéma, et je ne vais pas lui rendre justice en donnant des instructions de montage à distance à une équipe que je vais voir entre deux trains et deux sandwichs, ça n’est pas possible.

Moi qui ai toujours voyagé, qui passe mon temps entre deux maisons, deux villes, Lyon et Paris, je ne peux plus bouger. Il se passe quelque chose en moi – j’ai un peu honte de le dire – qui est de l’ordre d’une très grande chance. En premier lieu pour ma vie personnelle : il faut enfin que je m’arrête, que je considère mieux les personnes qui sont autour de moi, et ce film, il faut lui aussi que je le considère.

Donc ce que nous dit cette crise sanitaire, c’est que si on veut aller trop vite, passer en force, en rigidité, on se casse la figure. Personne ne peut battre le temps. Il faut faire avec. S’incliner

Dans le film, on sent que le travail et l’engagement total de Mary, sur l’île de Lesbos, en Grèce, vous ont également bouleversées l’une et l’autre.
Mary, c’est une jeune Britannique de 22 ans qui s’occupe de secours en mer de migrants, au large de Lesbos. Elle est emblématique de cette jeunesse européenne qui, par idéal, a décidé de sauver des vies plutôt que de prendre un café et manger du poulpe en terrasse, en faisant semblant d’ignorer ce qui se passe dans la crique à quelques centaines de mètres de là. Or c’est ça Lesbos aujourd’hui. Son organisation accueille pléthore de jeunes chaque année. Et souvent, la grande question pour ces jeunes, c’est : « Comment je retourne dans la vraie vie après avoir vécu ce que j’ai vécu ici ? »

Voilà l’un des aspects passionnants révélés au tournage, cette sorte de décalage troublant entre une jeunesse occidentale qu’on pourrait qualifier de « désactivée », versus cette jeunesse-là, totalement dans la vie, totalement engagée. Et d’ailleurs, Mohamad, au Liban, nous en a parlé avec des mots très forts, de même que Xiuhtezcatl, ce garçon de 18 ans que nous sommes allés rencontrer au Colorado.

Je crois que l’enjeu aujourd’hui de la jeunesse, c’est d’avoir envie de vivre, de s’accomplir, de partager les valeurs et les rêves d’un groupe. Sa tribu. Et vivre, ce n’est pas une vie sous perfusion, comme on a trop souvent en Europe, une vie sous perf’ des écrans, des stimuli extérieurs, des baskets à acheter, cette espèce d’éblouissement qu’on a construit autour des ados, comme des compensations, comme des doudous… Je pense qu’il y a autre chose à leur raconter, et c’est pour ça que j’ai fait ce film.

Mon rêve le plus fou, c’est que ce film donne envie, à mes enfants, aux copains de mes enfants – et au-delà par cercles concentriques, à un maximum d’enfants ; mais pas que -, de devenir comme Mohamad, comme Memory, comme Melati, comme René, comme Winnie ou Xiuhtezcatl : ancrés dans, avec, pour la vie.

De faire partie de cette génération qui se lève pour réparer le monde non pas par peur ni par culpabilité, mais parce qu’ils y trouvent la joie et la liberté. Et je ne m’attendais pas à cela. Il y a cette phrase du Baghavad Gita : « Je m’accomplis parce que j’accomplis ». Chacun des membres de l’équipe du film a été transformé par cela. Melati aussi. Nous sommes allés parfois au bout du monde, dans des endroits dévastés par les guerres, la faim, la peur, la haine.

Et ce que nous avons trouvé, ce sont des personnes ultra vivantes qui, sans nous donner la moindre leçon, nous ont dit comment vivre. Ces personnages du film sont en avance sur nous. J’ai enfin beaucoup de réponses à la question de mon fils.

Propos recueillis par Emmanuel Tellier

ENTRETIEN AVEC MELATI WIJSEN, ACTIVISTE

Quelle image de Flore Vasseur vous vient immédiatement à l’esprit lorsque vous pensez à elle et votre relation ?

En rencontrant Flore pour la première fois, j’ai eu le sentiment de parler à une personne que je connaissais déjà : l’entente a été immédiate, tout m’a paru simple, évident. En avril 2016, Flore avait fait le voyage jusqu’à Bali pour réaliser un documentaire consacré au combat pour l’interdiction des sacs plastique que je menais avec ma sœur, et à cette époque, des équipes de tournage, nous en rencontrions quasiment toutes les semaines. Mais ce tournage-là avait une saveur particulière : pour Flore, il ne s’agissait clairement pas d’un travail comme un autre.

C’était beaucoup plus, et de manière générale, tout ce qu’elle entreprend est « beaucoup plus ». Il y a quelque chose de l’ordre du combat dans sa façon d’avancer. Je devais avoir 15 ans lors de cette première rencontre qui m’a énormément marquée.

En quoi et comment ce sentiment de « proximité » immédiate entre vous deux a-t-il été déterminant pour la suite de l’aventure ?

Dès cette première fois à Bali, je me suis aperçue que Flore et moi continuions à discuter bien après le tournage, hors caméra, alors même que nous venions de passer deux heures devant la caméra. Dans la rue, au café, nous n’arrêtions jamais, nous avions tant de sujets sur lesquels échanger. C’est cette avalanche de paroles croisées qui m’a laissé penser que nous allions devenir très amies.

Flore est habitée par une obsession : permettre à votre voix d’être entendue, et entendue fidèlement. Lorsqu’elle interviewe une personne, elle prend beaucoup de temps, revient plusieurs fois sur des points dont vous ne saisissez pas forcément l’importance, s’assure que vous avez vraiment pu vous exprimer comme vous le souhaitiez. Pour décrire sa présence face à la personne qu’elle questionne, je parlerais d’« active listening », une écoute active.

Son art d’écouter et ses attentes vous poussent à être meilleur face à elle. C’est d’autant plus galvanisant que nous ne sommes pas de la même génération. Que Flore mette autant d’énergie à aller capter la parole de jeunes activistes partout sur cette planète est, pour la
personne de 20 ans que je suis, quelque chose de très émouvant

Vous n’étiez pas habituée à cette qualité d’écoute ?

Lorsque le premier tournage pour BIGGER THAN US a eu lieu, au printemps 2019, j’étais en pleine période de découragement, de frustration, et sans doute en proie à une forme de burn out. Il s’était passé deux années depuis notre première rencontre, et cette période d’investissement militant total m’avait laissé exsangue. Et d’autant plus que, dans ma lutte pour l’interdiction des plastiques en Indonésie, j’avais le sentiment que les choses n’avançaient pas assez vite…

En me proposant de m’embarquer dans BIGGER THAN US, Flore a réveillé quelque chose en moi, elle m’a redonné la foi et l’énergie. Le tournage du film et tous ces déplacements à l’autre bout du monde sont venus répondre à un sentiment de solitude que je sentais grandir en moi. D’un coup, il ne s’agissait plus seulement de moi, de mes frustrations, mon impatience, ma fatigue, mais bel et bien de quelque chose d’universel, un élan collectif, quelque chose à fabriquer ensemble, à raconter ensemble.

Le propos du film comme son titre sont d’ailleurs très clairs : il s’agit, pour chaque intervenant, de s’inscrire dans quelque chose « de plus grand »…
Exactement. Le film est plus grand que nous, il nous dépasse, il fait partie d’un mouvement.

Je garde le souvenir de quelques moments, pendant les tournages, où je me mettais en retrait, par exemple à l’occasion d’une pause repas. À distance, j’observais Flore, l’équipe de techniciens, et puis aussi ces jeunes gens remarquables que sont Winnie, Rene, Xiuhtezcatl, les « personnages » du film. Et alors je me disais, un peu déstabilisée : pourquoi moi ? Pourquoi suis-je là ? Que suis-je censée faire parmi toutes ces personnes ? Or la réponse était simple et me ramenait à beaucoup de modestie : je devais juste rester concentrée sur « the bigger picture », c’est à dire le projet humain de ce film, qui est un film choral, et ne jamais mettre d’ego dans ma façon de me positionner

Pendant les tournages, Flore et moi avons cheminé et progressé ensemble. Nous avons une relation très honnête et directe, rendue possible par un profond respect mutuel. Nous nous disons tout de manière archi franche, et nous avons même eu des prises de bec frontales.

Mais c’est une chance : peu de gens sont capables de faire ça, de rester aussi honnêtes dans la manière de se dire les choses, même dans une situation de désaccord. Nous avons deux fortes personnalités, mais qui se sont fondues dans ce projet et cet élan collectif plus grand que nous

En vous rendant dans chacun des pays où avaient lieu les tournages, votre état d’esprit était-il toujours le même ?

J’ai pris une énorme claque lors du premier tournage au Liban. J’avais de fortes attentes, et je sentais déjà, sans l’avoir rencontré, une grande complicité avec Mohamad. Or, juste après notre arrivée, nous avons appris que Mohamad était bloqué en Suède : on ne le laissait pas venir jusqu’au Liban en raison d’un problème de visa – problème qui s’est ensuite solutionné.

En réalisant que son statut de réfugié syrien l’empêchait de voyager aussi librement que moi, je me suis effondrée. J’avais fait des heures d’avion, j’étais sur place, heureuse, libre… et lui ne l’était pas. C’était un choc terrible. D’un coup, toutes ces questions de nationalité, de passeport, d’idendité m’ont sauté au visage, et cette expérience a fait exploser la petite bulle de confort dans laquelle je flottais… Finalement, nous avons pu tourner avec Mohamad, et j’ai trouvé en lui une sorte d’âme sœur. De retour vers Bali, je n’ai pas pu fermer l’œil dans l’avion, j’ai noirci des pages de carnets de notes – ce que j’ai également fait plus tard, en rentrant de chaque voyage.

Après cette première expérience au Liban, mon approche de ces voyages a changé. Dans l’avion vers le Brésil, l’Ouganda, la Grèce, j’ai toujours essayé de faire le vide. D’organiser mes pensées pour n’avoir aucune attente. Je lisais les notes et la documentation que la production m’avait données, mais vers la fin du vol, je fermais les yeux et laissais le vide et la sensation d’inconnu prendre toute la place.

Dans quel pays vous êtes-vous sentie le plus « loin de tout », loin de chez vous, loin de ce que vous connaissez ?

Au Malawi, en compagnie de Memory, qui est une jeune femme au courage sidérant dans un environnement où la voix des femmes est tellement minorée. Je crois que cette séquence dans le film montre bien mon admiration et mon émotion pour ce qu’elle fait. Elle dégage beaucoup de puissance. J’ai souvenir d’un trajet en voiture avec elle, en route pour le parlement du Malawi. Comme elle portait des talons pour l’occasion, elle les a retirés et a conduit les pieds nus. Ce simple petit moment m’a tellement marquée…

Dans un autre registre, la rencontre avec Mary, cette jeune Anglaise qui porte secours aux migrants sur l’île de Lesbos, m’a également transformée. Elle est la personne la plus tournée vers les autres que je connaisse, l’égoïsme est une notion qui lui est totalement étrangère, et cela m’a fait grandir. J’ai appris tellement pendant ces voyages : étape par étape, je me suis laissé gagner par des sujets que je n’avais pas eu le temps d’appréhender dans ma vie, la question des migrations, l’accès à l’éducation, le combat pour l’émancipation des femmes, l’alimentation, la grande pauvreté…

En plus d’une connaissance désormais plus intime de ces sujets cruciaux, universels, qui y sont abordés, que vous aura apporté le film ?

Il a fait renaître en moi le sens du dialogue profond, la rencontre au sens le plus humain, le plus complet. J’ai reçu une éducation où ces valeurs étaient centrales : prendre le temps d’aller vers l’autre, prendre le temps d’écouter quelqu’un qui n’a pas le même vécu que vous. Mais cet appétit de connaissance s’est un peu estompé à mesure que mon travail d’activiste en Indonésie prenait toute la place. Au risque de faire les choses de manière un peu mécanique…

Le film m’a ramenée à ça, à ce plaisir et cette nécessité. BIGGER THAN US a un impact sur moi tous les jours. La pandémie aurait pu nous contraindre à nous cloîtrer, nous replier, mais avec Youthtopia, l’organisation au sein de laquelle je milite en Indonésie, nous avons fait exactement l’inverse, multipliant les espaces de parole, les séminaires en ligne, les conférences via écrans. Ce n’est évidemment pas idéal, mais ça permet quand même d’avancer

A quel moment le film sera-t-il succès à vos yeux ?

Il sera un succès si nous constatons que les gens qui le voient se sentent investis d’un pouvoir.
S’ils se disent qu’eux aussi, ils peuvent agir, qu’ils ont un rôle à jouer, même modeste, et qu’il ne tient qu’à eux de se mettre en mouvement. Le film dit ça, il nous dit que chaque personne devrait s’inspirer de ces jeunes gens pleins de vie et de courage que Flore et son équipe sont allés rencontrer. Ces garçons et filles sur qui la peur ne semble pas avoir de prise se sont mis en mouvement très jeunes, parce qu’ils savent que le temps est compté. J’espère qu’ils seront sources d’inspiration pour le plus grand nombre.

FLORE VASSEUR

Entrepreneur à New York à 24 ans, Flore Vasseur vit la bulle Internet, le 11 Septembre et un système capitaliste qui craquèle de toute part. Depuis, elle écrit des livres, des articles, des documentaires pour comprendre la fin d’un monde et l’émergence d’un autre.

Avec ses quatre romans d’une effrayante lucidité, elle s’attaque à l’emprise de la finance et à la folie d’un monde assis sur la technologie. Elle interroge notre rapport au pouvoir, l’élite en mode panique et pose la question : qui gouverne ?

A côté de cette démarche de décryptage et parfois de dénonciation, elle entreprend un travail au long cours sur la piste des défenseurs des droits et des lanceurs d’alerte. A Moscou, elle réalise MEETING SNOWDEN autour de l’ancien contractant de la NSA. Son dernier livre, CE QU’IL RESTE DE NOS RÊVES, est un roman enquête sur l’histoire méconnue et réelle d’Aaron Swartz, enfant prodige du code qui nous voulait libre, persécuté par l’administration Obama.

Suite logique de ses quinze années d’enquête et d’écriture, BIGGER THAN US est son premier film documentaire de cinéma. Au fond, son travail porte sur la question du libre arbitre, de l’engagement et du courage. L’envie de vivre et d’être digne

INTENTIONS DE PRODUCTION

DENIS CAROT
J’ai fondé Elzévir Films en 1993 avec mon associée Marie Masmonteil. Depuis, nous avons produit plus de 50 films pour le cinéma et la télévision, tels que Va, vis et deviens (Radu Mihaileanu, 2005), Home (Yann Arthus-Bertrand, 2009), La source des femmes (Radu Mihaileanu, 2011), Tous au Larzac (Christian Rouaud, 2011), Party girl (Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis, 2014), etc. Nombre de ces productions ont un caractère engagé sur des problématiques environnementales ou sociales. Prendre part à l’aventure Bigger than us en tant que producteur était donc pour moi une évidence : lorsque j’ai découvert comment Melati et d’autres jeunes activistes ont réussi à faire bouger les lignes, chacun dans leur communauté ou leur pays, j’ai décidé de mettre toute ma passion et mon savoir-faire au service de ce projet afin qu’il ait le plus grand retentissement possible.

MARION COTILLARD
Depuis plus de vingt ans, je suis engagée pour des causes environnementales et sociales, cherchant toujours à sensibiliser pour créer un monde plus équitable. En devenant maman, j’ai tout de suite senti que mes enfants avaient beaucoup à m’apprendre. Leur génération choisit la vie et la dignité. Et elle nous montre le chemin. C’est pour cela que j’ai décidé de produire ce film, et d’aider Flore à nous raconter le combat de Melati et de tous ces jeunes activistes bien décidés à changer la donne.

LISTE ARTISTIQUE

MELATI WIJSEN
MOHAMAD AL JOUNDE
MEMORY BANDA
RENE SILVA
XIUHTEZCATL MARTINEZ
MARY FINN
WINNIE TUSHABE

LISTE TECHNIQUE

RÉALISATRICE FLORE VASSEUR
ÉCRIT PAR FLORE VASSEUR et MELATI WIJSEN
MUSIQUE ORIGINALE RÉMI BOUBAL
1ÈRE ASSISTANTE RÉALISATRICE DOROTHÉE MARTIN
2ÈME ASSISTANTE RÉALISATRICE ANOUK AFLALO DORE
IMAGE CHRISTOPHE OFFENSTEIN, TESS BARTHES
SON JEAN-LUC AUDY, FANNY WEINZAEPFLEN
CHEFFE MONTEUSE AURÉLIE JOURDAN
ASSISTANTE MONTEUSE SARAH SITRUK
CHEF MONTEUR SON BENJAMIN ROSIER
MIXEUSE FANNY WEINZAEPFLEN
ETALONNAGE RICHARD DEUSY
DIRECTRICE DE PRODUCTION RIITA DJIME
PRODUCTION DÉLÉGUÉE DENIS CAROT elzévir films
FLORE VASSEUR big mother productions
COPRODUCTION MARION COTILLARD all you need is prod
FRANCE 2 CINÉMA
PRODUCTRICE.TEUR ASSOCIÉ.E.S MARIE MASMONTEIL
LUDOVIC DARDENAY

JEAN-PIERRE ET LUC DARDENNE : 12E PRIX LUMIERE

Des courts aux longs métrages, en passant par les documentaires, Jean-Pierre et Luc Dardenne sont fidèles à ce qui a construit leur cinéma : les bords de Meuse, les grandes luttes ouvrières, l’engagement social et humain. Metteurs en scène célébrés sur la scène internationale, ils ont posé leur regard singulier sur le monde, créant une œuvre puissante, criante de vérité.

« Nous sommes très honorés de recevoir ce Prix Lumière 2020, ont déclaré Jean-Pierre et Luc Dardenne. Pour nous, deux frères cinéastes, ce prix recèle une émotion particulière. Il nous met en contact avec la fraternité originelle du cinéma, avec les deux frères qui ont filmé pour la première fois des corps, des visages d’hommes et de femmes, d’ouvriers et d’ouvrières sortant de leurs ateliers. Plus d’un siècle après, nous filmons des corps, des visages qui sont les descendants de ceux filmés par les frères Lumière et nous essayons chaque fois de les filmer comme si c’était la première fois. Ce sera magnifique de recevoir ce prix dans le cadre du festival qui fait dialoguer, comme nulle part ailleurs, le patrimoine mondial du cinéma et le public d’aujourd’hui. Vive le cinéma ! Vive la vie ! »

Le cinéma des Dardenne, c’est aussi une impressionnante galerie d’actrices et d’acteurs, Émilie Dequenne, Olivier Gourmet, Jérémie Renier, Fabrizio Rongione ou Déborah François qu’ils révèlent, comme Arta Dobroshi ou le jeune Idir Ben Addi dans leur dernier film. Ces dernières années, les plus grandes comédiennes d’aujourd’hui, Cécile de France, Marion Cotillard, Adèle Haenel, sont venues rejoindre les réalisateurs, leur monde, et cette véritable famille de cinéma qu’ils ont construite depuis des années.

Pour Bertrand Tavernier, président de l’Institut Lumière qui organise le festival :

« C’est une immense joie que de décerner ce Prix Lumière aux frères Dardenne, c’est aussi une évidence dans l’époque que nous traversons. Avec passion, une constance qui fait penser à celle d’Orwell, une formidable empathie pour les éclopés, à l’écart des diktats de la mode ou du box-office, les films de Jean-Pierre et Luc Dardenne explorent la vie de ceux qui dégustent, victimes des crises, de la mondialisation, prisonniers de l’intolérance religieuse, de ces « misérables » sur lesquels s’étaient penché Hugo. Et qui résistent à leur manière, violemment, maladroitement, tendrement. Les deux frères cinéastes le font avec brio, avec talent, avec une attention à la morale des choses, nous faisant découvrir d’immenses acteurs et nous prouvant que ce que l’on regarde, surtout si on le fait avec cette humanité, compte autant que le regard lui-même. »

Célèbres pour leur parole tranchée et leurs prises de position humanistes, mais aussi pour leur humour et leur passion contagieuse, Jean-Pierre et Luc Dardenne ont reçu le Prix Lumière lors de la 12e édition du festival Lumière.

Metteurs en scène précis et uniques, révélateurs de talents, les frères Dardenne marquent le cinéma contemporain de leur regard puissant. Une poétique de la réalité poussée à son paroxysme, en écho à leur origine de documentaristes. Célébrés sur la scène internationale, ils sont lauréats de deux Palmes d’or et de nombreux autres prix. Une rétrospective pour célébrer l’œuvre de Jean-Pierre et Luc Dardenne pour ce qu’elle est : humaniste, forte, engagée, tournée vers la jeune génération et criante de vérité.

  Entourés de l’actrice de Rosetta Emilie Dequenne, de Christine Plenus la photographe de plateau qui les suit depuis leurs débuts, de leur producteur Denis Freyd, de leurs distributeurs en France et à l’international Michel Saint-Jean et Vincent Maraval, Jean-Pierre et Luc Dardenne ont reçu le 12e Prix Lumière remis par le festival Lumière, à l’occasion de sa 12e édition, hier, vendredi 16 octobre  

Sur scène, les artistes Jeanne Cherhal, Gabriel Yared et Thomas Dutronc, sont chacun venus célébrer l’oeuvre des deux frères en musique.
Plus tôt dans la soirée, Jérémie Renier a dit sa reconnaissance, son admiration et son amour pour les cinéastes qui l’on révélé, en 1996, avec La Promesse.   
« Merci tellement aux frères. Rosetta était ma naissance en tant qu’actrice« . Émilie Dequenne, lauréate du Prix d’interprétation cannois pour ce premier rôle, a rendu un vibrant hommage à ses « parents de cinéma ». 

  « Le cinéma fabrique des armes de construction massive et celles des frères Dardenne en sont foudroyantes. »

Bertrand Tavernier, le Président de l’Institut Lumière, a écrit un puissant éloge sur le cinéma des deux frères, lu sur scène par Thierry Frémaux.

Un texte qui s’est achevé avec une citation des misérables. En juillet, le cinéaste écrivait déjà : « Ils explorent la vie de ceux qui dégustent, victimes des crises, de la mondialisation, prisonniers de l’intolérance religieuse, de ces “misérables” sur lesquels s’étaient penché Hugo. »   

L’Amphithéâtre du Centre de Congrés de Lyon vibrait sous les applaudissements du public, lorsque sont arrivés sur scène Jean-Pierre et Luc Dardenne pour recevoir leurs Prix.   

« Ce Prix symbolise l’héritage des frères Lumière. Filmer la vie, son intensité, sa mobilité. Lorsque l’on filme Rosetta, on essaie de faire en sorte qu’elle soit vivante. »

Les frères Dardenne, cinéastes du réel et de la vérité, inscrivent leur oeuvre, film après film, dans l’héritage des frères lyonnais qui ont documenté la vie à la fin du XIXe. 

LUMIERE 2020 : A BOUT DE SOUFFLE

Lumière accueille cette année une grande partie de la section Cannes Classics, la sélection de films restaurés du Festival de Cannes.

Les 20 ans de  In the Mood for Love de Wong Kar-wai, les 60 ans d’À bout de souffle et de L’avventura, des grands auteurs (Federico Fellini, Pier Paolo Pasolini), des redécouvertes des éditions de Cannes des décennies 60, 70 et 80,  le premier film de Melvin Van Peebles  et d’autres trésors du cinéma à revoir  ou à découvrir.

À Marseille, Michel Poiccard (Jean-Paul Belmondo) vole une voiture américaine : direction Paris. Sur la route, il est bientôt pris en chasse par un motard. Paniqué, Michel l’abat et s’enfuit. Le lendemain, à Paris, il rencontre une jeune Américaine, Patricia (Jean Seberg), avec laquelle il a une liaison.

En partant d’un scénario écrit par François Truffaut, Godard compose un film semi-improvisé, bardé de références au cinéma américain et formellement insolent. Le noir & blanc rugueux de Raoul Coutard souligne une course en avant, mêlée de crimes et d’histoires d’amour.

Lauréat du prix Jean Vigo 1960, le film connaît un succès immédiat qui élève Jean-Paul Belmondo, Jean Seberg et Jean-Luc Godard au rang d’icônes.

« À bout de souffle nous révèle un incontestable, un très grand talent. Jean-Luc Godard, qui n’a pas trente ans est une « bête de cinéma ». Il a le film dans la peau. […] Sur le plan technique, aucun moins-de-trente-ans n’avait encore récemment jeté bas avec une telle maestria les vieux échafaudages. Godard a flanqué au feu toutes les grammaires du cinéma et autres syntaxes du film. » (Georges Sadoul, Les Lettres françaises, 31 mars 1960)

Réinvention du cinéma, montage neuf, explosion de tous les principes, désinvolture absolue… À bout de souffle est un éclair radical dans le cinéma français. À la fin des années 50, ce film marque le début de la « modernité », de la Nouvelle Vague, de la légende Godard.

Cette œuvre est aussi une plongée intimiste, presque documentaire, entre polar et nihilisme, dans un Paris romantique.

« Godard a été le plus grand dynamiteur des structures anciennes. Son œuvre incandescente est une gerbe de fusées contre le cinéma desséché des temps morts. Cette écriture d’un modernisme triomphant et narcissique, ne cesse de signifier le moment premier du cinéma qui s’invente. Elle signale à chaque instant, dans chacun de ses procédés, que le film est une entreprise intense ». (Jean-Claude Bonnet, Cinématographe n°37, avril 1978)

À bout de souffle France, 1960, 1h29, noir et blanc, format 1.33

Réalisation, scénario et dialogues Jean-Luc Godard d’après un scénario original de François Truffaut

Photo Raoul Coutard

Musique Martial Solal, Wolfgang Amadeus Mozart

Montage Cécile Decugis

Production Georges de Beauregard, Société Nouvelle de Cinématographie, Imperia Films

Interprètes Jean-Paul Belmondo (Michel Poiccard), Jean Seberg (Patricia Franchini), Henri-Jacques Huet (Antonio Berutti), Daniel Boulanger (l’inspecteur Vital), Roger Hanin (Carl Zombach), Jean-Pierre Melville (l’écrivain Parvulesco), Van Doude (le journaliste américain), Michel Fabre (l’adjoint de l’inspecteur Vital), Richard Balducci (Luis Tomatchoff), Claude Mansard (Claudius Mansart), Liliane David (Liliane)

Sortie en France 16 mars 1960

Présentation à la Berlinale juin 1960

LUMIERE 2020 – DEUX JOURS, UNE NUIT

Vendredi. Sommés par leur patron de choisir entre leur prime de fin d’année et le maintien du poste de Sandra (Marion Cotillard), les seize collègues de la jeune femme ont tous choisi leur prime

Sandra, motivée par son mari Manu (Fabrizio Rongione), convainc son patron d’attendre lundi pour faire à nouveau voter l’équipe. Elle a un week-end pour persuader ses collègues de la laisser garder son emploi

Dans son très beau livre, Sur l’affaire humaine (Seuil), Luc Dardenne écrit :

« Comment sortir de la peur de mourir sans tuer ? Voilà l’affaire humaine. »

Tous les films des frères racontent cette affaire humaine et tous, celui-ci plus encore que les précédents, répondent comme Luc :

« Devenir vivant et s’aimer, s’aimer soi-même et aimer l’autre, c’est-à-dire s’aimer comme séparés. Voilà le dénouement possible de l’affaire humaine. » (Jean-Dominique Nuttens, Positif n°639, mai 2014)

Né de la lecture de la nouvelle Le Désarroi du délégué, issue de La Misère du monde de Pierre Bourdieu, et de nombreux articles dans la presse internationale, Deux jours, une nuit est un portrait de femme en temps de crise, et celui, en creux, d’une société qui met les siens en concurrence – une concurrence d’une rare violence.

Marion Cotillard, nouvelle venue dans le cinéma des frères Dardenne, campe Sandra. Sortant de dépression, absente de son entreprise, elle est battue d’avance. Elle est exclue car perçue comme « non-performante ». Portée par un mari aimant (Fabrizio Rongione, un fidèle de la tribu des cinéastes), Sandra décide de se battre. Et comme partie en campagne électorale pour elle-même, elle fait du porte-à-porte

Rencontrant ses collègues un à un, elle leur répète les mêmes mots, avance les mêmes arguments. Mais chaque rencontre est différente : les regards, le décor, la réponse. Car il n’y a ni bons, ni méchants, seulement des humains qui ont tous une bonne raison de faire leur choix

Rencontre entre recherche d’un réalisme brutal et écriture dramatique ciselée, Deux jours, une nuit ajoute la notion de suspense à l’œuvre des Dardenne, sans jamais trahir leur engagement, toujours extrêmement fort, pour leur sujet.

« Il y a cette force supérieure qui anime depuis toujours les Dardenne, une forme d’empathie dans le regard, une expérience du monde qui fait qu’aucune scène, même la plus mélodramatique, ne paraîtra jamais fabriquée ou artificielle. Appelons cela le cœur intelligent. » (Romain Blondeau, Les Inrockuptibles, 21 mai 2014)

Deux jours, une nuit Belgique, France, Italie, 2014, 1h35, couleurs, format 1.85

Réalisation & scénario Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne

Photo Alain Marcoen

Montage Marie-Hélène Dozo

Musique Petula Clark, Van Morrison, The Cousins, Olibwoy

Décors Igor Gabriel

Costumes Maïra Ramedhan-Levi

Production Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne, Denis Freyd, Les Films du Fleuve, Archipel 35, Bim Distribuzione, Eyeworks Film & TV Drama, France 2 Cinéma, RTBF, Belgacom

Interprètes Marion Cotillard (Sandra), Fabrizio Rongione (Manu), Catherine Salée (Juliette), Baptiste Sornin (M. Dumont), Pili Groyne (Estelle), Simon Caudry (Maxime), Alain Eloy (Willy), Lara Persain (la femme de Willy), Myriem Akheddiou (Mireille)

Présentation au Festival de Cannes 20 mai 2014

Sortie en Belgique 21 mai 2014

Sortie en France 21 mai 2014

LUMIERE 2020 – LE GAMIN AU VÉLO

Cyril (Thomas Doret), bientôt 12 ans, n’a qu’une idée en tête : retrouver son père (Jérémie Renier) qui l’a placé provisoirement dans un foyer pour enfants. Il rencontre par hasard Samantha (Cécile de France), patronne d’un salon de coiffure, qui accepte de l’accueillir chez elle pendant les week-ends.

« Soir du premier jour de tournage. Cyril existe. Premier plan où il mord et fuit. C’est lui : mordre, fuir et suivre, fuir pour suivre celui duquel il ne peut se décrocher : son père. » (Luc Dardenne, Au dos de nos images II, 20052014, Seuil)

Poings serrés au fond des poches, air bagarreur, Cyril (prodigieux Thomas Doret, alors débutant) a en lui une colère indomptable, une rage dont il est prisonnier. Mené par une idée fixe (retrouver son père, retrouver l’amour), il fait les mauvaises rencontres et bascule peu à peu dans la délinquance.

Le Gamin au vélo tient du récit initiatique :

« On a eu envie de bâtir le film comme une sorte de conte. Avec des méchants qui font perdre au garçon ses illusions et Samantha qui apparaît un peu comme une fée. À un moment, on a même pensé fugitivement appeler le film Conte de notre temps. » (Jean-Pierre Dardenne)

Si Jean-Pierre et Luc Dardenne sont ici fidèles à leurs obsessions (les rapports filiaux, une façon brute de saisir les sentiments), ils ne manquent pas de se réinventer.

Pour la première fois, ils tournent en été, offrant à leur image davantage de lumière et de douceur.

Ils choisissent également une actrice confirmée pour le rôle de Samantha : Cécile de France est leur premier personnage à ce point solaire. Et quelques notes élégiaques du concerto de Beethoven, L’Empereur, ponctuent le récit.

Une nouveauté. Le Gamin au vélo est un film émouvant, mais qui ne verse jamais dans la sensiblerie : l’ellipse comme figure de style, rempart des frères Dardenne contre le mélo.

« La place qui est donnée ici à l’émotion n’a pas à être invalidée au motif que les films contemporains sont si prudents qu’ils la tuent en la dosant (peur d’en faire trop, ou pas assez). L’émotion dans ce film n’est pas l’effusion programmée, mais vient plutôt de la composition organique de ce système : avancer, se cogner, avancer toujours, agir, faire des choses et soudain il y a simplement un temps d’arrêt qui survient, imprévu, où quelque chose jaillit dans cette course, ce principe d’action continue, de dépense d’énergie, Cyril qui pédale et pédale, ce gamin dont le père ne veut plus s’occuper, qu’une fille recueille comme ça, pour rien, et ces deux-là finissent par se trouver bien ensemble, il y a un moment où ça s’arrête et l’on sent un instant quel mal parfois on fait aux gosses. »

(Jean-Philippe Tessé,  Cahiers du cinéma n°667, mai 2011)

Le Gamin au vélo Belgique, France, Italie, 2011, 1h27, couleurs, format 1.85

Réalisation & scénario Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne

Photo Alain Marcoen

Montage Marie-Hélène Dozo

Musique Ludwig van Beethoven

Décors Igor Gabriel

Costumes Maïra Ramedhan-Levi

Production Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne, Denis Freyd, Les Films du Fleuve, Archipel 35, Lucky Red, France 2 Cinéma, RTBF, Belgacom

Interprètes Cécile de France (Samantha), Thomas Doret (Cyril), Jérémie Renier (Guy Catoul), Fabrizio Rongione (le libraire), Egon Di Mateo (Wes), Olivier Gourmet (le patron du café)

Présentation au Festival de Cannes 15 mai 2011

Sortie en Belgique 18 mai 2011

Sortie en France 18 mai 2011